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Antrim

Rencontre - Changer tot-allemand


J'ai bien rencontré des gens, outre-Rhin, mais ce ne furent pas des rencontres au sens où je l'entends.

Une rencontre, c'est quelque chose d´inattendu ; et cela vous marque parce que la personne rencontrée a une façon d'être, de vous regarder ou de vous parler qui vous fait comprendre la profondeur de l'être humain.

Les personnes avec qui j'ai partagé mon temps en Allemagne étaient des collègues de travail. Je sortais avec des jeunes de mon âge et l'on s'amusait bien, mais c'étaient des étrangers.

Il y a beaucoup d'étrangers en Allemagne.

Düsseldorf, rives du Rhin

Une collègue, bonne femme un peu replète et au fort caractère – cela va souvent de pair – qui se moquait toujours de mon accent français et aux remarques un peu rentre-dedans – ce qui contraste avec la majorité ordonnée, respectueuse et facilement choquée de ses concitoyens – avançait qu'il n´y avait plus d'Allemands en Allemagne.

Il n'y avait plus que des mélanges, des cafés au lait, des Allemands au beurre, des turco-germaniques, des germano-polonais.

Elle-même, petite-fille d'immigrés, s'appelait C. Abczynski (prononcer… comme vous voulez) et allait se marier avec un Herr Kissner.

Elle plaisantait de cela en se rentrant dedans elle-même. J'aimais son sens de la dérision.

Mais ce que j'appréciais surtout, c'était que jamais dans son discours il n'y avait de paroles mauvaises. Ce n'était pas un mal qu'il y ait tant d'étrangers dans son pays ; ce n'était pas un mal que la population se mélange, ce n'était pas un mal que près de 6% des Allemands ne parlent pas allemand.

Elle ne disait pas non plus que c'était un truc super, genre une richesse pour la culture, une opportunité... non.

C'était comme ça, c'est tout.

Elle ne l'a jamais cité, et encore moins rencontré, mais je crois qu'elle devait s'inspirer de Charles Darwin.

"Ce n'est pas le plus fort de l'espèce qui survit, ni le plus intelligent.

C'est celui qui sait le mieux s'adapter au changement", disait notre barbu scientifique.

Le changement, elle l'observait, elle le constatait comme tout le monde, mais elle enfonçait bien ceux qui le déploraient.

"Ah c'était mieux avant ? Figurez-vous que c´est grâce à ces étrangers que notre pays s'est si vite redressé après la guerre. Cet 'avant' prétendument meilleur, s'il l'était c'est aussi grâce à eux. Et pour les remercier vous voulez renvoyer leurs enfants dans un pays qui n'est même pas le leur ? Et vous qu'avez-vous fait pour votre pays ?"

Jamais elle n'aurait prononcé comme conclusion : "Ils ont plus leur place ici que vous, vieux crouton." Mais tout le monde l'avait bien entendu.

Une Socrate à sa façon. Énonçant des évidences et posant les questions qui tuent ensuite.

A chacun de se retrouver ensuite avec sa conscience, pour se faire accoucher soi-même d´après la maïeutique originelle.

"Le voile, juste un truc normal" (c'est une caricature...)

"Deutsch ist, wer deutsch spricht"

J'ai appris à la radio qu'une étude menée par le Berliner Instituts für empirische Integrations- und Migrationsforschung montre que 96,8% des Allemands pensent que parler allemand devrait suffire pour être considéré légalement Allemand (... ou être "légallemand", si on veut).

Mais ce que C. trouvait terriblement triste, c'était que 37,8% des mêmes Allemands interrogés estiment qu'on ne devrait pas pouvoir obtenir la nationalité si l'on porte un voile.

J'ai eu droit à ma propre séance de boxe sur le ring de la conscience lorsque je demandai à mes collègues, au détour d'une phase de sélection de candidats, si le fait qu'elles n'étaient que des femmes influençait leur jugement lorsqu'il s´agissait de se baser sur le comportement ou d'interpréter le discours d'un interviewé.

Fier d'avoir pu terminer cette phrase relativement complexe dans la langue objectivement complexe de Goethe, je les regardais avec un grand sourire, tandis qu'elles me contemplaient bouche bée. "Nous n'avons jamais réellement considéré ce facteur" disaient-elles.

Seule C. souriait en coin.

"Et qu'est-ce que ça pourrait bien changer que nous ne soyons que des femmes ?

Que dit la loi sur les critères de sélection ? Si nous regardons un échelon au-dessus, nous-mêmes avons été recrutées selon des critères précis, de compétences, de formations, d'expérience et de comportement. Maintenant, comment appellerait-on cela si les recruteurs étaient recrutés selon des critères de sexe, ou même d’âge, de religion ou d´orientation sexuelle, finalement, parce que ça revient au même ? As-tu toi-même suivi une formation en droit européen sur ce sujet ? Nein, oder ?"

"Nein."

Je ne pouvais rien dire d'autre que nein.

Certaines de mes collègues m'ont confié ensuite que ma question était pertinente et n'avait pas mérité cette réponse virulente ; moi je crois que c'était une bonne réponse au contraire.

Au moins, je m'en souviendrai.

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