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Antrim

#8. Les multiples voies de l’écologie


Écologie des petits pas, écologie radicale, écologie psychologique ou psychologie environnementale ou même contre-culture écologique… ce mot qui rime avec magie semble pousser autour de nous comme des étiquettes bio. Sur une démarche entrepreneuriale, sur des politiques municipales, sur du produit nettoyant, sur les unes de nos libraires ou en en-tête des rapports européens, la nouvelle logique est écologique ou n’est pas.

Mais du coup, on ne sait plus trop ce que c’est.

Respecter l’environnement ? C’est trop subjectif pour être pertinent. Total voulait lancer un programme d’explorations pétrolières au large des mangroves de l’embouchure amazonienne, où une riche biodiversité corallienne avait été découverte peu auparavant. Pour séduire le gouvernement brésilien et les protecteurs invétérés de l’environnement qui s’opposaient au projet, ils ont mis en avant leur total respect de l’environnement et les normes et directives exigeantes qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Pourtant, le projet a été rejeté quatre fois par l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (l’Ibama) ; c’est bien que la notion de respect de l’environnement diffère d’une institution à l’autre.

Sauver la planète ? Comme expliqué dans de précédentes chroniques, c’est surtout de notre modèle sociétal, certes planétaire, qu’il s’agit ; la planète a survécu à pire plaie que l’humain.

Réveiller les consciences sur le réchauffement climatique ? Un truc de riches ! s’exclameront les dubitatifs qui opposeront en bloc les problèmes bien réels, le chômage, la crise économique et les petits Africains qui ne se lèvent le matin que pour trouver à manger avant le soir, quand les plus perplexes ne dénonceront pas tout simplement une mise sous tutelle idéologique de la pensée rationnelle ou un alarmisme inutile et couteux pour une question encore scientifiquement si incertaine, faisant fi des 93 % des scientifiques que la formation et l'expérience rendent légitimes à s'exprimer sur le sujet qui sont d'accord sur le constat.

Au-delà d’une mode, d’une opportunité économique ou même de la contre-culture idéologique prônée par des intellectuels qui opposent trop, à mon avis, la situation actuelle à leurs idéologies pour qu’elles soient réalisables, l’écologie est une nouvelle façon de voir le monde. Une voie pour remettre en question nos actions quotidiennes et surtout pouvoir apporter SES PROPRES RÉPONSES.

Si pour vous ça n’a pas encore de sens de ne pas laisser enfouir ou incinérer vos épluchures en les mettant au compost, pas de souci : personne ne viendra vous y obliger dans votre cuisine. Aller au vélo au travail, c’est déjà un grand sacrifice envers l’écologie ? Continuez comme ça ! Ce qui compte, c’est que ce soit important pour vous.

Si vous réfléchissez au sens de chacune de vos habitudes, alors vous progresserez pas à pas et peu importe dans quel sens : c’est dans celui qui vous mène au bonheur qu’il vous faut aller. Vous serez plus utile à la société heureuse que frustrée.

Il y a en effet une notion plus profonde, derrière les solutions miracles proclamées tout autour de nous aujourd’hui pour moins polluer. C’est celle que l’humain est en soi davantage que le tangible et le scientifiquement explicable.

"La conscience n'est peut-être

qu'une sorte de pollution mentale."

La science conventionnelle tend à réduire l’homo sapiens à ce qu’elle peut mesurer, expliquer et potentiellement guérir.

Yuval N. Harari, dans son très fameux Homo Deus, posait la question de ce que l’humain a de plus que ce qu’on a pu donner à la machine. Une conscience ? Pour l’instant, rien d’autre aux yeux de la science qu’un sous-produit inutile de notre activité cérébrale. Cet auteur nous rappelle que, de la même manière qu’un avion au décollage génère beaucoup de bruit mais ce n’est pas cela qui le fait avancer, ou que notre corps rejette du dioxyde de carbone à chaque respiration alors qu’il n’en a pas besoin pour fonctionner, la conscience n’est peut-être qu’une sorte de pollution mentale produite par l’activation d’un complexe réseau de neurones. Ça ne sert à rien. C’est là, c’est tout.

Subissant cette rationalisation d’eux-mêmes, les femmes et les hommes de cette société ne se voient donc plus que comme des rouages dans une grande machine, au service de quelqu'un ou quelque chose de plus grand qu'eux, comme le chantaient les Fleet Foxes.

Theodor Roszak déplorait le fait que l’humain ne voie plus le monde avec ses « yeux de feux » mais avec ses seuls « yeux de chair ». Ce professeur étasunien s’opposait au réductionnisme qui veut mesurer et objectiver toutes nos interactions sociales et jusqu’à la conscience humaine, afin de les remplacer à terme par des ordinateurs.

De cette manière, expliquait-il, l’homme est remplacé dans tous les domaines par la machine, non point parce qu’elle peut faire les choses mieux que lui mais parce que toutes les choses ont été réduites à ce que la machine est capable de faire.

Le langage humain est trop compliqué pour une machine ? Rendons-le binaire, réduisons-le à des définitions figées, et n’importe quel ordinateur peut alors le comprendre.

Les problèmes d’urbanisation sont trop complexes et demandent trop de paramètres philosophiques, sociologiques et esthétiques non rationnels ? Hop, une ville n’est plus qu’une zone urbaine et ne se dirige plus que par des résolutions quantitatives.

Mais une caissière ne fait-elle vraiment que scanner des codes-barres ? Un ouvrier peut-il être réduit à une manipulation d’outils ? Ne sommes-nous pas, en remplaçant le regard et les énergies des humains par des données graphiques, en train de rendre nos lieux de vie, de consommation et de travail morts ?

L'écologie,

c'est rendre à l'humain sa place

au cœur de notre société,

faisant partie d'un grand tout.

Utile ou non, propre à l’homo sapiens ou commune à tous les êtres vivants, la conscience est là. Elle nous permet ce recul sur nos actions. Elle nous relie à notre environnement direct et indirect, restreint et large, et au reste du vivant.

L’écologie, bien qu’on la dégaine dans tous les sens, le premier d’entre eux reste la science qui étudie les êtres vivants dans leur milieu et les interactions entre eux ; mais étymologiquement, c’est le discours (logos) sur notre environnement (œkos : la maison).

Mon écologie, c’est rendre à l’humain sa place au centre de notre société, en considérant qu’il fait partie d’un grand tout. Partant, nous considérerions et protégerions ce grand tout comme nous-mêmes : nos prochains, leurs œuvres, leurs cultures et leurs travaux, les animaux, les paysages et les éléments naturels.

D’où l’idée d’écolocratie : mettre en application (kratia : le pouvoir) cette vision holistique de l’humain dans sa grande maison qu’est l’univers.

Vous voyez qu’on est loin du faisons le tri sélectif pour sauver la banquise.

Toutefois, oui, cela va à l’encontre du paradigme de notre modèle actuel, c’est-à-dire que la conception théorique dominante qui fonde l’explication des phénomènes sociaux, voire même qui détermine les phénomènes à étudier, est à redéfinir.

Des mots pompeux pour dire que rien ne peut vraiment évoluer dans le sens d’une société durable tant que, par exemple, on se base sur la croissance économique pour mesurer la bonne santé d’un État et de ses citoyens.

L’auteur et essayiste Paul Jorion, prenant de l’altitude comme tout bon anthropologue, rappelle qu’une course est engagée entre la destruction de notre environnement et sa restauration (…). S’oppose malheureusement à cette lutte contre l’extinction le capitalisme occidental, lequel n’est pas axé sur la survie de l’espèce et l’amélioration de son sort mais sur l’accumulation du profit individuel.

Eh oui, c'est là qu'est l'os principal de l'affaire, que nous avons vu sortir de la bouche même de Nicolas Hulot : l'écologie est incompatible avec notre modèle capitaliste.

L'écologie nécessite

une perte de confort.

Mais... avec notre démocratie et les libertés individuelles qu'elle permet aussi ?

D’après l’astrophysicien Aurélien Barrau, un chercheur du CNRS qui a lancé un appel co-signé par deux cents personnalités dans un sursaut bien à la mode, il s’agit, et urgemment, de remettre du sens dans cette folie capitaliste.

Concrètement ? Poser des limites légales à ce qui est faisable ou non. Et qui dit loi dit démocratie.

Si quelqu’un m’agace dans la rue, je ne suis pas libre de lui mettre une claque : les lois protègent les individus et c’est bien là une contrainte de liberté individuelle qui paraît logique à tout le monde ! Alors pourquoi ne pas aller plus loin : sans aller jusqu’à l’idée d’une écolocratie totalitaire, il est peut-être temps de considérer que les dommages faits à la planète doivent aussi rentrer dans le cadre de ce qui n’est plus autorisé. (…) Peut-être que certaines voitures ne pourront plus rouler, peut-être que les gens qui avaient les moyens d’aller faire du tourisme à l’autre bout de la planète dix fois par an devront se restreindre… il y aura effectivement de la perte de confort.

Notre Bon Dicteur Vert des épisodes précédents s’en réjouit d’avance.

Sources :

TALEB Mohammed, Nature Vivante et Âme pacifiée, éd. Arma Artis, Bourg de Thizy, 2014.

HARARI Yuval Noah, Homo Deus, A Brief History of Tomorrow, éd. Vintage, Londres, 2016.

Le Nouveau Magazine Littéraire, Le Capitalisme ne répond plus, n°10, octobre 2018.

Disponible sur : https://www.pauljorion.com/blog/2018/09/27/le-nouveau-magazine-litteraire-paul-jorion-se-ressaisir-ou-disparaitre-le-27-septembre-2018/

France Culture, La Grande Table des Idées du 28/09/2018, L'écologie est-elle compatible avec le capitalisme et la démocratie ? par Olivia GESBERT.

Disponible sur : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/lecologie-est-elle-compatible-avec-le-capitalismeet-la-democratie

Le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/06/01/total-l-assemblee-generale-des-actionnaires-envahie-par-greenpeace_5308151_3224.html?xtmc=forage_total_amazone&xtcr=2

Valeurs Actuelles : https://www.valeursactuelles.com/sciences/pour-en-finir-avec-lalarmisme-climatique-inutile-et-couteux-97469

Le site de Total : https://www.careers.total.com/fr/nos-metiers/hseq

Le site de Greenpeace : https://www.greenpeace.fr/recif-de-lamazone-grosse-claque-total/

Et pour la référence musicale : Helplessness Blues des Fleet Foxes, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=7HHgedNNQco

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